- VATICAN (Ier CONCILE DU)
- VATICAN (Ier CONCILE DU)Le XXe concile œcuménique de l’Église romaine, réuni du 8 décembre 1869 au 20 octobre 1870, fut convoqué par Pie IX dans le double dessein de condamner plus solennellement les «erreurs modernes issues du rationalisme» et d’adapter le droit ecclésiastique à la société du XIXe siècle. Il fut interrompu par l’annexion de Rome au royaume d’Italie, après avoir consacré la majeure partie de son temps et de ses énergies à la définition des prérogatives pontificales, en particulier l’infaillibilité du pape, laquelle donna lieu à une polémique très vive, suivie de près par l’opinion publique et par plusieurs gouvernements.Préparation, programme et ouverture du concileC’est le 26 juin 1867 que Pie IX annonça pour la première fois en public la décision, qu’il mûrissait depuis plusieurs années, de réunir un concile œcuménique. Son intention, précisée par les avis qu’il avait demandés à divers évêques jouissant de sa confiance, était, d’une part, de couronner l’œuvre de réaction contre le «naturalisme» et le rationalisme qu’il poursuivait depuis le début de son pontificat et, d’autre part, d’adapter la législation ecclésiastique aux profonds changements qui s’étaient produits dans le monde depuis le concile de Trente.L’annonce du concile accentua l’opposition entre les courants d’opinion qui s’affrontaient au sein de l’Église depuis une vingtaine d’années: catholiques libéraux et néo-gallicans, d’une part, ultramontains et adversaires des libertés modernes, d’autre part. Le choix des consulteurs chargés de préparer les projets de décrets conciliaires (soixante Romains et trente-six venus de l’étranger), presque tous connus pour appartenir à la seconde tendance, inquiéta ceux qui crurent diagnostiquer une tactique: préparer le concile en secret hors de tout débat contradictoire, en ne tenant compte que du seul point de vue de la curie, puis faire accepter par les Pères sans discussion des propositions toutes faites. Une malencontreuse «correspondance de France» publiée le 6 février 1869 dans la revue des Jésuites romains, la Civiltà cattolica , sembla confirmer ce pronostic en faisant présager une définition de l’infaillibilité pontificale par acclamation, donc sans possibilité de mise au point ou de discussion par les Pères. Du coup, la question de l’infaillibilité du pape, qui n’avait pratiquement pas été envisagée dans le programme initial, passa au premier plan de l’actualité.De leur côté, plusieurs gouvernements appréhendaient des décisions éventuelles du concile sur le mariage civil, l’enseignement ou les libertés constitutionnelles et craignaient qu’on ne veuille réaffirmer solennellement certaines prétentions médiévales de l’Église sur le pouvoir civil. Le souhait, exprimé par un certain nombre d’évêques et accueilli favorablement par Rome, de faire du Syllabus de 1864 la base des délibérations conciliaires ne pouvait que renforcer ces appréhensions. Et tous ceux qui dans l’Église redoutaient le triomphe au concile du parti ultramontain s’ingénièrent à activer ces méfiances gouvernementales dans l’espoir de provoquer des avertissements et mises en garde par la voie diplomatique.Le concile, qui siégeait dans le bras droit du transept de la basilique Saint-Pierre, s’ouvrit le 8 décembre 1869 en présence de sept cents évêques environ. On comptait parmi eux soixante prélats de rite oriental, originaires pour la plupart du Proche-Orient, et près de deux cents Pères venus de pays extra-européens (cent vingt et un d’Amérique, quarante et un d’Asie, dix-huit d’Océanie, mais neuf seulement des missions d’Afrique, qui n’en étaient encore qu’à leur début). Toutefois, comme beaucoup de prélats venus de ces régions lointaines étaient originaires d’Europe, la prépondérance européenne était en fait massive. En outre, l’élément latin était fortement majoritaire: car s’il y avait une centaine d’anglophones (d’ailleurs irlandais pour la plupart) et environ soixante-quinze Allemands et Autrichiens, les Français représentaient 17 p. 100 de l’assemblée (grâce aux nombreux évêques missionnaires) et les Italiens, plus de 35 p. 100. Bon nombre des consulteurs ou experts et les cinq présidents de l’assemblée étaient d’ailleurs des Italiens, seul le poste de secrétaire général ayant été confié par le pape à un étranger, l’Autrichien Fessler.Positions des groupes en présenceLes controverses qui s’étaient développées au cours de l’année 1869 à propos de l’infaillibilité pontificale, et en particulier une intervention maladroite de Mgr Dupanloup au milieu de novembre, eurent pour conséquence que, très vite après l’ouverture du concile, les Pères commencèrent à se regrouper suivant un clivage idéologique. Beaucoup, très hostiles à l’engouement de leurs contemporains pour le libéralisme, ne redoutaient pas, bien au contraire, que le concile rappelât les principes d’après lesquels devaient être régis selon la doctrine classique les rapports entre l’Église et l’État dans une société chrétienne idéale; et beaucoup – c’étaient souvent les mêmes, mais pas toujours – souhaitaient une définition solennelle de l’infaillibilité personnelle du pape. Même s’ils n’approuvaient pas toutes les mesures centralisatrices de la curie romaine, il leur paraissait normal qu’on profitât de la réunion du concile pour couper court au réveil des controverses doctrinales autour des prérogatives propres au souverain pontife, qu’en pasteurs assez peu sensibles aux difficultés d’ordre historique ou théologique ils jugeaient parfaitement stériles. Des raisons extra-théologiques renforçaient d’ailleurs souvent leurs convictions, entre autres leur vénération pour Pie IX et leur souci de souligner le plus possible le principe d’autorité dans un monde miné par les aspirations révolutionnaires. Mais le même mélange de considérations d’ordre doctrinal et de facteurs non théologiques incitait d’autres évêques à penser que pareils projets bouleverseraient la constitution traditionnelle de l’Église et paraîtraient menacer la société civile dans ses aspirations les plus légitimes. Certains demeuraient attachés à une conception du magistère ecclésiastique selon laquelle le pape ne peut jamais trancher en fait de doctrine indépendamment d’une ratification par le corps épiscopal. Plus fréquente semble avoir été la préoccupation de sauvegarder la place prévue pour ce dernier dans la structure divine de la hiérarchie ecclésiastique. Par ailleurs, la manière même dont la question de l’infaillibilité était présentée par les journaux ultramontains les plus en vue était de nature à confirmer ceux qui étaient convaincus qu’«on voulait déclarer le pape infaillible dans les matières de foi pour le faire croire infaillible dans les autres», c’est-à-dire concrètement dans celles touchant de plus ou moins près à la politique. Or, tous ceux qui croyaient que l’avenir était, sur le plan politique, aux institutions libérales estimaient que l’Église avait tout à perdre en se présentant comme le champion d’un autoritarisme autocratique (l’incidence de ces préoccupations d’ordre politico-religieux sur l’attitude des opposants à la définition de l’infaillibilité du pape, spécialement du côté français, a été bien mise en lumière par J. Gadille dans l’introduction à son édition des Souvenirs du concile du Vatican d’Albert de Boýs). À cela s’ajoutaient encore des préoccupations d’ordre œcuménique: la définition proposée rendrait plus difficile encore le rapprochement avec les chrétiens d’Orient, renforcerait l’agressivité de certains milieux protestants et risquerait même de provoquer un nouveau schisme dans les milieux intellectuels germaniques, très impressionnés par la campagne anti-infaillibiliste déclenchée par Ignaz von Döllinger. Ceux qui réagissaient de la sorte étaient moins nombreux que le premier groupe – d’où l’expression de «minorité» pour les désigner – mais les plus en vue parmi eux jouissaient d’un grand prestige, soit par leur science théologique, soit par l’importance des sièges qu’ils occupaient: presque tout l’épiscopat d’Autriche-Hongrie, sous la conduite du cardinal Rauscher, patrologue renommé et ardent défenseur des droits du Saint-Siège face aux prétentions joséphistes ou libérales; tous les grands sièges d’Allemagne, y compris le célèbre Ketteler; un tiers des prélats français; plusieurs archevêques d’Amérique du Nord; l’archevêque de Milan, le plus peuplé des diocèses italiens; trois patriarches orientaux.Projets et discussionsLes trois premières semaines furent occupées par l’élection des commissions (pour les questions doctrinales, pour la discipline ecclésiastique, pour les droits des religieux et pour les questions concernant les missions et les Églises de rite oriental). Ceux qui s’agitaient en vue d’obtenir la définition de l’infaillibilité du pape réussirent à exclure systématiquement les membres de la minorité de la plus importante, dite «députation de la foi», ce qui ne fit qu’exaspérer les préventions de ces derniers, fort mécontents par ailleurs de ce que le règlement du concile, au lieu d’être élaboré par l’assemblée elle-même comme à Trente, lui avait été imposé d’en haut par le pape (constitution Multiplices inter , du 27 novembre 1869, modifiée ultérieurement sur certains points par le décret du 22 février 1870).Le 28 décembre, on aborda l’examen du premier projet de constitution dogmatique, contre les erreurs issues du rationalisme moderne. Ce schéma fut très critiqué, même du côté de la majorité: on le trouva obscur et trop technique, trop peu inspiré par des préoccupations pastorales, trop affirmatif sur les points librement discutés entre théologiens catholiques. Après six séances, les présidents annoncèrent qu’il serait renvoyé en commission pour être refondu et qu’on aborderait en attendant les schémas sur la discipline ecclésiastique.Dans l’idée de beaucoup, l’adaptation du droit canonique avait été considérée comme la tâche principale du concile. Vingt-huit schémas avaient été préparés par la commission pour la discipline et dix-huit autres, très remarquables, par celle des religieux, mais quelques-uns seulement furent distribués aux Pères. On en discuta quatre du 14 janvier au 22 février, en se perdant dans de nombreux détails, car le temps de parole n’était pas limité. Puis, après trois semaines d’interruption pour améliorer l’acoustique, qui était déplorable, on reprit le 18 mars l’examen du schéma contre le rationalisme, retravaillé par un jésuite allemand, le père J. Kleutgen. La nouvelle rédaction fut bien accueillie et la discussion ne porta plus que sur des points de détail. Le 24 avril, la constitution Dei Filius fut approuvée solennellement et proclamée par le pape. On y trouvait en quatre chapitres un exposé dense et clair de la doctrine catholique sur Dieu, la révélation et les rapports entre raison et foi.Mais depuis janvier, on s’agitait surtout en dehors de l’aula conciliaire. Un groupe de pression agissant indépendamment de la curie, dont les animateurs étaient Manning (Westminster), Senestrey (Ratisbonne) et Dechamps (Malines), mit en circulation au début de janvier une pétition demandant au pape de mettre au programme du concile la question de l’infaillibilité, que la commission préparatoire avait préféré ne pas présenter spontanément. On finit par recueillir plus de quatre cent cinquante signatures. La minorité, très émue, s’empressa de récolter des signatures en sens contraire, mais bien qu’elle en eût réuni cent trente-six, soit le cinquième de l’assemblée, Pie IX décida, le 1er mars, de faire droit au désir de la majorité et fit insérer un passage définissant l’infaillibilité du pape dans le projet de constitution dogmatique sur l’Église qui avait été distribué aux Pères quelques semaines plus tôt et dont le déséquilibre flagrant entre les passages consacrés à la papauté, d’une part, et à l’épiscopat, de l’autre, de même que la perspective théocratique des chapitres sur l’Église et l’État, avaient déjà mécontenté et inquiété de nombreux Pères, même en dehors de la minorité.L’affaire des pétitions avait été pour la minorité l’occasion d’organiser la résistance, qui était jusqu’alors demeurée diffuse et dispersée. Elle fut stimulée en ce sens par un jeune laïc anglais, John Acton, qui, comme historien, partageait contre le dogme en préparation les préventions de son maître Döllinger, mais qui redoutait bien davantage encore les conséquences que la définition pourrait avoir indirectement sur les possibilités d’avenir du catholicisme dans une société de plus en plus axée sur l’idée de liberté. En même temps qu’ils cherchaient à convaincre le plus de Pères possible de la valeur de leurs objections par des brochures théologiques, les opposants n’hésitèrent pas à violer la loi du secret, à laquelle ils ne s’estimaient pas tenus puisqu’ils n’avaient pas eu l’occasion de voter eux-mêmes le règlement; et ils entamèrent une campagne de presse, qui prit parfois, en Allemagne surtout, des allures plus violentes qu’ils ne l’auraient voulu (en particulier la controverse qui mit aux prises les pères Gratry, Dechamps et Dupanloup, et les Römische Briefe von Quirinus publiées par Döllinger dans l’Allgemeine Zeitung d’Augsbourg). Ils essayèrent également de provoquer des interventions des gouvernements autrichien, anglais et surtout français.Mais Pie IX ne se laissa pas intimider par cette agitation et il décida même, à la demande des leaders de la majorité, de faire discuter par anticipation le chapitre de la constitution sur l’Église consacré aux prérogatives du pape, en en faisant une petite constitution séparée.Le débat sur l’infaillibilité pontificaleLa discussion, qui fut suffisamment libre, commença le 13 mai. Le débat général se ramena en fait à une discussion sur l’opportunité de la fameuse définition. Après une quinzaine de séances, on passa à la discussion spéciale (du 6 juin au 4 juillet). Elle porta essentiellement sur le chapitre IV, où était proposé un texte de définition de l’infaillibilité pontificale déjà amélioré en commission, mais qui ne tenait pas encore suffisamment compte du rôle légitime qui, à côté du pape et en collaboration avec lui, revient à l’épiscopat dans le magistère suprême de l’Église. Cinquante-sept orateurs prirent la parole, mettant en relief les arguments théologiques ou les difficultés historiques ainsi que les avantages ou les inconvénients pratiques d’une définition. Ces débats, souvent fastidieux, permirent du moins de préciser certaines expressions et firent tomber quelques oppositions. Entre-temps d’ailleurs, les tractations de couloir s’étaient multipliées; en effet, entre les ardents de la majorité et les partisans de la résistance à outrance, la grande masse des Pères était au fond constituée par des hommes modérés, que toute cette agitation peinait et inquiétait profondément. Loin de souhaiter l’écrasement de l’adversaire, ils ne désiraient qu’une chose: trouver une formule transactionnelle qui permettrait d’éviter de faire éclater au grand jour la division de l’assemblée. C’était en particulier, comme l’a bien mis en relief Mgr Maccarrone, le cas de la plupart des Italiens, qui n’avaient été pour rien dans les manœuvres initiales en vue de mettre l’infaillibilité à l’ordre du jour. Ils fournirent par leur nombre un appui décisif au «tiers parti» informel qui se cherchait depuis le début et qui sut faire prévaloir en définitive, entre les outrances néo-ultramontaines et anti-curialistes, des formules relativement nuancées, qui restaient ouvertes à des compléments ultérieurs.On est même en droit de penser qu’une fraction beaucoup plus importante de la minorité se serait finalement ralliée à cette solution nuancée si Pie IX n’avait pas fait montre d’autant d’intransigeance, intervenant de plus en plus directement dans le sens des ultras de la majorité au fur et à mesure que la discussion se prolongeait. Quoi qu’il en soit du reste, c’est un fait que les efforts de dernière heure en vue d’un ralliement des opposants n’aboutirent pas, en dépit de la bonne impression produite par l’exposé récapitulatif de Mgr Gasser, fait au nom de la commission théologique, commentaire autorisé qui reste d’une importance capitale pour saisir les nuances des textes conciliaires (cf. G. Thils, L’Infaillibilité pontificale ). Une ultime démarche de la minorité auprès de Pie IX n’ayant donné aucun résultat, une soixantaine d’évêques prirent le parti de quitter Rome avant le vote final afin de ne pas devoir voter non placet face au pape sur une question le concernant directement. Les autres membres de la minorité estimèrent que les améliorations successives du texte et les commentaires de Mgr Gasser avaient écarté les principales objections de fait et décidèrent en conséquence d’approuver le texte définitif. La constitution Pastor aeternus fut votée solennellement le 18 juillet.Les événements empêchèrent la continuation du concile, qui n’avait encore rempli qu’une minime partie de son programme initial. Après le vote du 18 juillet, il avait poursuivi ses travaux au ralenti, les chaleurs et la guerre franco-allemande ayant incité la grande majorité des Pères à quitter Rome. Puis, après l’annexion au royaume d’Italie de ce qui restait de l’État pontifical, Pie IX estima que la liberté du concile n’était plus assurée et, le 20 octobre, il déclara celui-ci prorogé sine die.
Encyclopédie Universelle. 2012.